Les rêves donnent du travail. Cette citation du romancier Paolo Coelho confirme tous les progrès réalisés par la commande publique depuis 2007 mais aussi tous les défis à tenir pour rester éveillé.
Au commencement était la lutte contre le gaspillage : les coûts étaient extrêmement élevés, la qualité des infrastructures et des services douteux, les délais de conception, de réalisation et de paiement particulièrement longs. Le recours abusif aux marchés de gré à gré et aux régimes dérogatoires était fréquent et le manque de clarté sur l’application des procédures de passation des marchés nombreux. S’y ajoutaient de nombreuses zones d’ombre du Code des marchés publics de l’époque qui, combiné à l’absence d’un plan de renforcement des capacités en termes de formation ou d’outil de travail, avait fini par créer une défiance des opérateurs privés et de la société civile vis-à-vis du système.
Le rapport conjoint de la Banque mondiale (BM), de la Banque Africaine de Développement (BAD) et du Gouvernement du Sénégal élaboré en 2003 (CPAR) soulevant ces constats, avait également diagnostiqué l’inexistence d’un système de contrôle a posteriori indépendant, l’absence d’organe de régulation et le déficit de mécanismes d’examen des recours des soumissionnaires. Le tableau noir était complété par une inefficacité du dispositif de lutte contre la corruption avec pour conséquence, des risques élevés en termes d’absorption des ressources budgétaires, de pratiques de marchés et d’efficacité de la passation des marchés.
Les six évaluations faites depuis la transposition des Directives de l’UEMOA élaborées en 2005 ont permis de mesurer les progrès réalisés. Le Sénégal capitalise des avancées significatives et incontestables depuis la mise sur pied d’un organe de régulation qui, depuis sa création en 2007, a coordonné la mise en œuvre de la réforme des marchés publics. Celui-ci assure, entre autres, les missions de règlementation, de formation, de conseil, et de préparation des documents standards communément appelés dossiers types.
Dans le domaine des audits, les revues annuelles de passation de marché régulièrement publiées ont permis de détecter les fraudes et anomalies qui gangrenaient le système et d’apporter des mesures correctives. Ces actions étaient accompagnées par une responsabilisation accrue des autorités contractantes à partir de 2014 à travers le relèvement progressif du seuil de revue et d’approbation de passation des marchés sur la base de l’évaluation de leur capacité réelle.
On ne peut passer sous silence l’important dispositif de formation des acteurs et l’introduction à plus grande échelle des systèmes de gestion et d’information qui ont permis de renforcer les capacités des acteurs.
L’élargissement du comité de pilotage et du Comité de Règlement des Différents au secteur privé et à la société civile et leur concertation systématique sur les grands dossiers ont permis une meilleure représentation et une prise en compte effective de leurs préoccupations.
L’accroissement du taux de décaissement et la diminution des prix unitaires des investissements publics vont de pair avec une amélioration accrue de la qualité des investissements mesurables au moment des audits techniques mis en place.
Les taux d’absorption des crédits sont très importants. Inférieur à 55 % entre 2009 et 2014, il varie entre 95 et 100 % depuis 2017. Dans le même moment, on constate une plus grande qualité dans l’exécution des marchés’ avec des délais raccourcis.
DEFIS
La commande publique a misé grand. En introduisant des modes alternatifs de passation des marchés avec l’introduction à partir de 2022 de la loi sur les contrats de partenariat public – privé suivi d’un arsenal règlementaire, le législateur s’est voulu ambitieux. L’opérationnalité était recherchée avec l’édification d’infrastructures et de services innovants à la hauteur des attentes et satisfaction des citoyens.
S’il est loisible de constater ces résultats ; il est tout aussi probant de noter que des défis restent encore à relever.
La création de l’Autorité de Régulation de la Commande Publique (ARCOP) en 2023 en est une parfaite illustration avec la création de deux chambres au sein du Comité de Règlement des Différends chargées respectivement des marchés publics et des contrats de partenariat. On n’occulte pas la création officielle de l’Institut de Formation de la Commande Publique (IRCOP) qui en dit long sur les ambitions de l’institution pour une commande publique responsable et durable et le développement d’un cadre professionnel conforme aux aspirations du système.
Le programme KERMEL lancé au cours de la même année vise à moderniser le système et à sécuriser les transactions pour rendre possible, dans un premier temps, la soumission électronique des procédures des Demandes de Renseignements et de Prix (DRP) qui sera suivie de la phase de dématérialisation intégrale des procédures de passation des marchés.
L’innovation est aussi recherchée au niveau de la professionnalisation des acteurs de la commande publique. L’enjeu porte sur la création de métiers reconnus par la fonction publique pour autoriser des carrières et mettre en place l’ordre des experts de la commande publique à l’attention du secteur privé.
Les défis portent aussi les programmes visant, tous, à accompagner les politiques publiques dans le domaine des achats publics durables (APD). On citera, à titre d’exemple, le programme « jeunes assistants » visant à lutter contre le chômage en renforçant l’employabilité de 200 jeunes par an depuis 2022 et le plan d’actions ambitieux visant l’accès des femmes à la commande publique mené en droite ligne avec l’objectif de développement durable 12. Plus de 800 femmes ont été formées à la commande publique entre 2020 et 2023 et 250 autres PME à direction féminine sont ciblés en 2024.
« La persévérance est le secret de tous les triomphes ! » Autant de défis, autant d’ambitions qui rendent audibles cette pensée chère à Victor Hugo qui reste toujours d’actualité.
Poulmery Ba Niang
Directrice de la formation et des
Appuis techniques (DFAT/ARCOP)