L’Autorité de régulation de la commande publique (ARCOP) attire l’attention sur la nécessité de déplacer le curseur vers le suivi de l’exécution des contrats de travaux en matière de marché public. L’affaire Bara Tall et la route Kaolack – Fatick est restée un cas d’école souvent cité en exemple dans certains séminaires internationaux en matière de marchés publics. Voilà un cas typique de ce qu’il faut éviter dans la mise en œuvre des marchés de travaux publics.
En conclave à l’Institut de régulation de la commande publique (IRCOP) du 3 au 7 juin, des experts d’une dizaine de pays d’Afrique centrale et de l’Ouest se sont imprégnés des outils et techniques pour une meilleure gestion des contrats dans les travaux publics.
D’après le directeur général de l’Autorité de régulation de la commande publique (ARCOP, Ex-ARMP), le Sénégal, dans ce domaine, fait face à de nouveaux défis. “Aujourd’hui, au Sénégal, nous maîtrisons la phase de passation des marchés. On arrive à passer des marchés en toute conformité. Globalement, le processus de passation est très bien surveillé, très bien maîtrisé. Là où l’État perd de l’argent, c’est au niveau de l’exécution. Donc, le nouveau challenge c’est dans l’exécution des marchés publics, en particulier dans les marchés de travaux”, plaide le Directeur général de l’ARCOP, M. Saër Niang.
Le constat est presque général. La qualité des ouvrages publics fait souvent défaut dans certains grands projets. Tantôt ce sont des matériaux inadéquats qui sont utilisés, tantôt un problème de quantité ou de qualité insuffisante. Malheureusement, déplorent les experts en commande publique réunis à l’IRCOP, souvent, le suivi fait défaut en raison de la complexité des contrats. “Le contrat est très important parce que c’est à ce niveau que l’on distribue les rôles, les obligations des différentes parties. Et dans les marchés de travaux, ce sont souvent des marchés complexes, de grande envergure et qui se passent sur plusieurs années. Par exemple, vous voulez faire un grand immeuble et vous prévoyez de mettre 80 tonnes de ciment, 60 tonnes de fer… Qui contrôle la quantité de fer, de ciment… ? C’est vrai qu’il y a le bureau de contrôle. Mais en général, il y a des défaillances à ce niveau, on paie des prestations dont les services ne sont pas livrés. Il faut donc que les gens veillent sur ces aspects”, d’après M. Niang.
Les experts regrettent un déficit dans le suivi de l’exécution des contrats. Partenaire de l’ARCOP dans l’organisation de cette session régionale de formation, la Banque mondiale semble prendre très au sérieux cette problématique qui gangrène sérieusement les deniers publics, occasionne des pertes importantes de ressources pour les États. Spécialiste principal de l’institution de Bretton Woods en matière de passation de marchés, Laurent Mehdi Brito insiste sur l’importance du suivi dans l’exécution des marchés. “La Banque mondiale, souligne-t-il, dans tous ses projets, a une partie analyse d’impact. Chaque projet a des indicateurs régulièrement regardés et analysés pour voir si l’impact prévu a été atteint. C’est le cas des équipes de suivi-évaluation. Nous, au niveau de la passation des marchés, on s’assure que ceux qui mettent en œuvre les projets ont bien appliqué les règles qui aboutissent à la signature du contrat. Mais il faut aller au-delà jusqu’à l’exécution de ces contrats et c’est ce qui nous réunit cette semaine”.
Outre les manquements dans la qualité des ouvrages publics, il y a aussi les retards parfois abyssaux dans les délais d’exécution des travaux. Ce qui impacte négativement les ressources publiques, sans parler des dégâts au plan socioéconomique. Pour une prise en charge correcte de tous ces maux, la Banque mondiale et les autorités en charge des marchés publics des différents pays cibles misent sur une meilleure maîtrise du contrat, en particulier du contrat FIDIC, qui est le modèle utilisé par la Banque mondiale.
Consultant international, Yann Schneller revient sur la principale caractéristique de ce type de contrat. “La grande particularité, c’est qu’ils (ces contrats) sont caractérisés par un partage des risques entre le maître d’ouvrage et l’entrepreneur, un partage des risques qui est perçu généralement comme équilibré. Maintenant, la réalité fait que le contrat est souvent modifié de manière à changer cet équilibre. Ce qui peut avoir pour effet de distordre l’équilibre initialement obtenu”, dissèque le formateur.
Des sanctions sont souvent prises contre les entreprises interdites d’accès aux marchés ; De l’avis de Saër Niang, tout se joue dans l’élaboration des contrats où nos États ont intérêt à se doter des meilleures compétences. A l’en croire, c’est une phase décisive qui va déterminer la suite des rapports entre les parties. “… Dans ces contrats complexes de grande envergure avec des enjeux financiers importants, les entreprises internationales savent qu’il y aura forcément des contentieux qui vont naître. Déjà dans le contrat, elles se projettent sur le futur et sur les contentieux à venir. Elles vont tout faire pour se prémunir des meilleurs experts. Nous avons donc besoin de vrais spécialistes afin de préserver les intérêts de l’État. On a besoin non pas seulement de juristes, mais aussi d’ingénieurs”, souligne le directeur général de l’ARCOP.
Mais qu’en est-il de l’application des sanctions prévues par la réglementation en vigueur, en cas de manquements notés pour une entreprise ?
Le DG de l’ARCOP rassure : “Des sanctions sont souvent prises. Si vous allez sur le site des marchés publics, vous verrez qu’il y a une liste rouge de plusieurs entreprises exclues des marchés publics pour des délais pouvant aller jusqu’à cinq ans pour certaines. Il y a aussi des pénalités qui sont appliquées. Les sanctions ne manquent donc pas, mais le problème c’est moins de sanctionner que d’avoir des compétences nécessaires pour prendre en charge ces problèmes.”
Pour sa part, le spécialiste de la Banque mondiale, Mehdi Brito, déclare : “La Banque mondiale donne surtout un financement ; elle a certes ses conditions, mais après ce sont les pays qui déroulent sous sa responsabilité les projets. C’est donc à eux de veiller à ce que les contrats soient exécutés de manière satisfaisante. En tant que partenaire, nous accompagnons les États pour se doter des compétences pour une bonne gestion des contrats.” Le gros problème, ajoute-t-il, “c’est que jusque-là, on a fait comme si le marché s’arrête au moment de la signature ; le nouveau paradigme consiste à leur dire aux que le contrat va jusqu’à la réception complète des travaux”.
Présidant la rencontre, le Directeur de Cabinet du ministre de la Formation professionnelle a accentué son propos sur le respect des principes de la bonne gouvernance en matière de conduite des marchés publics. “Cette rencontre est extrêmement importante, car elle permettra une meilleure maîtrise des contrats, en vue d’une gestion efficiente de nos ressources. Comme vous le savez, ce volet des marchés publics est très important quand on parle de bonne gouvernance, gage du développement socioéconomique de nos pays. Il s’agit donc de veiller à l’application des meilleurs standards, selon le triptyque Jub, Jubal, Jubanti”.
Sources : journal l’enquête du 4 juin 2024, page 5 avec la CCRP de l’ARCOP