Le Sénégal a identifié la dématérialisation de la commande publique comme un pilier essentiel pour l’accélération de la transition de l’économie du pays vers une société de l’information ; et contribuer à la réalisation de l’objectif gouvernemental de modernisation de l’administration publique, par le développement de nouveaux processus de passation des marchés innovants et plus efficaces. Ainsi, les processus et pratiques d’approvisionnement actuels devraient être repensés pour utiliser la technologie moderne. Le Directeur de la statistique et de la documentation (DSD) de l’ARCOP, nous permet, à travers cet entretien, de s’engager dans ce processus.
- À l’issue de la dernière mission d’assistance technique en vue de procéder à la dématérialisation intégrale, quels sont les points essentiels à retenir ?
La dernière mission d’assistance technique a permis de rassembler les principales parties prenantes du projet de dématérialisation des procédures de la commande publique, y compris l’équipe de la Banque Mondiale, pour passer en revue les principales caractéristiques de la solution adaptée au contexte du Sénégal et des modalités de mise en œuvre.
À cet égard, les points ci-après sont à retenir :
- Le système à mettre en place devra s’interconnecter avec les autres systèmes d’informations des Administrations (DGID, Budget, Trésor…), de la CSS/IPRES ;
- La solution devra comporter toutes les fonctionnalités pour couvrir la chaine de passation des marchés y compris l’inscription des candidats sur la plateforme, la publication des PPM et des documents de marché, la soumission électronique avec les garanties de confidentialité et de sécurité, l’archivage des données et la gestion des contrats
- La souveraineté dans la gestion des données a été une forte préoccupation des participants qui ne souhaitent qu’aucune donnée ne soit hébergée ailleurs que dans le datacenter national, même en phase pilote ;
- Le recrutement d’un assistant au maître d’ouvrage est important pour accompagner l’ARCOP et ses partenaires engagés dans la procédure d’acquisition de la solution ;
- La question du financement doit être prise en compte d’ores et déjà, soit sur ressources propres de l’ARCOP, soit avec l’appui d’un partenaire technique comme la Banque Mondiale.
- La démarche doit être inclusive avec l’implication des différentes parties prenantes (ARCOP, DCMP, Autorités contractantes, candidats aux marchés, SENUM et DTAI)
- La conduite du changement doit être prise en compte pour assurer la réussite du projet.
- Le choix idéal consiste à mettre un système conforme aux standards pour automatiser l’essentiel des process avec nécessité d’apporter quelques modifications du CMP pour assurer la conformité du système de e procurement par rapport aux textes.
- Parmi les modèles qui ont été présentés, lequel vous semble plus approprié pour le Sénégal ?
Les solutions généralement préconisées sont les suivantes :
- Acquisition d’un progiciel auprès d’un fournisseur
- Adaptation d’une solution déjà existante
- Développement spécifique
Chacune des solutions peut convenir au contexte du Sénégal. Le consultant recruté par la Banque Mondiale pour appuyer l’ARCOP a préconisé l’achat d’un progiciel à adapter pour disposer de toutes fonctionnalités requises dans le contexte du Sénégal. Cette option requiert un déploiement progressif et un développement spécifique de quelques modules pour les adapter au contexte du Sénégal.
Toutefois, l’ARCOP a déjà acquis une solution sur la base d’un développement spécifique réalisé par un cabinet sénégalais, en l’occurrence 2SI. Cette solution sera lancée bientôt en 2024 et les acquis pourront être capitalisés avec toute autre solution qui pourrait être mise en œuvre suivant les recommandations du consultant que la Banque Mondiale a mis à disposition de l’ARCOP pour appuyer le Sénégal
- Le Sénégal est-il prêt techniquement pour le lancement effectif de la dématérialisation des procédures de passation de marchés ?
Il n’y a aucun doute à ce sujet. D’ailleurs, le Sénégal a déjà une expérience de dématérialisation avec le SYGMAP, même si la couverture fonctionnelle de ce système est limitée. Ce qui est sûr c’est que sur le plan technique, une solution conforme à l’état de l’art existe déjà, a été testé avec les acteurs et a fait l’objet de partages et d’échanges avec les principales parties prenantes qui ont exprimé leur satisfaction. En ce qui concerne l’hébergement, le DATACENTER de Diamniadio peut être utilisée avec toutes les garanties de sécurité et de disponibilité. Il en est de même avec la DTAI qui, à ce jour, héberge les plateformes SYGMAP et KERMEL.
Par contre, au niveau de certaines collectivités territoriales, notamment dans les régions de Sédhiou, Tambacounda, Kédougou, la disponibilité de l’internet et des équipements informatiques est une question qui mérite d’être examinée.
Au-delà des questions techniques, le plus grand défi est celui de la conduite du changement. A ce niveau une stratégie de communication doit être élaborée pour susciter l’adhésion de tous les acteurs.
- Quels sont les risques encourus et les solutions préconisées ?
Le premier risque c’est la résistance au changement. Compte tenu de la complexité relative du sujet, le changement n’est pas évident au niveau des autorités contractantes sur certains aspects (l’enrôlement des personnes responsables de marchés pour la signature électronique qui va remplacer la signature habituelle physique sur papier). Au regard des enjeux financiers importants, des réticences peuvent être rencontrées également au niveau des candidats aux marchés.
Le deuxième risque concerne l’indisponibilité du service pour des raisons techniques (accès à l’électricité, accès à internet). A ce niveau, l’implication des services techniques de l’Etat est nécessaire pour accompagner le processus (SENEGAL NUMERIQUE, ARTP, du ministère de l’Economie Numérique).
Le troisième risque est l’obsolescence de la solution au regard des évolutions dans le secteur du numérique. A ce niveau, l’accent a été mis sur la flexibilité de la solution et son adaptabilité à toute évolution.
Le risque lié à la passation du marché pour l’achat de la solution est à prendre en compte en raison du nombre limité de prestataires francophones ou en mesure d’évoluer dans un contexte francophone, présents sur le marché. La procédure de passation doit faire l’objet d’une attention minutieuse avec, s’il y a lieu, un sourcing adéquat. L’implication d’un assistant au maître d’ouvrage sera nécessaire pour préparer les termes de références/Spécifications fonctionnelles/Programme d’activités.
Le dernier risque est relatif à la collaboration des autres Administrations pour l’interfaçage avec les autres plateformes (Banques, RCCM, Services fiscaux, Banques, Ordre des comptables…)
- Pour une mise en œuvre réussie, quelles sont les étapes et paliers à franchir ?
La mise en œuvre commence par une phase pilote qui sera lancée très prochainement avec la nouvelle plateforme Kermel qui prend d’ores et déjà en compte les fonctionnalités du SYGMAP et de l’ancienne version de Kermel sur la soumission électronique. Cette nouvelle plateforme dispose d’une couverture fonctionnelle suffisante d’autant plus qu’elle permet la publication du nouveau modèle de PPM, la passation de procédures d’achats publics durables avec un espace réservé aux entreprises à direction féminine, un espace réservé à l’inscription de tout candidat. Elle peut s’interfacer avec d’autres systèmes, d’ailleurs, la Direction Générale du Budget est saisie à ce sujet pour les modalités d’interconnexion avec le SYSBUDGET. L’interfaçage avec les plateformes des Banques est également envisagée afin de gérer les garanties de soumission.
La période de déploiement et de mise en œuvre de la nouvelle version de Kermel permet également de préparer les acteurs au changement et de dérouler toute la procédure d’acquisition de la solution définitive de dématérialisation intégral.
Après l’achat de la solution, le déploiement se fera de manière progressive, avec une phase pilote qui concernera une cible restreinte d’autorités contractantes, des modes de passations ciblées et une répartition géographique maitrisée.