Au Sénégal, la règlementation sur les partenariats public-privé (PPP) portée par la loi n°2021-23 du 2 mars 2021 et son décret d’application n°2021-1443 du 27 octobre 2021 est assez exhaustive en ce qui concerne la procédure d’identification, de sélection et de passation des projets PPP ainsi que le processus de contractualisation, de suivi du contrat PPP.
Par contre, tel n’est pas le cas pour l’audit des procédures et contrats de PPP. En effet, l’article 46 de la loi sur les PPP se borne juste à indiquer que les contrats de partenariat public-privé (PPP), à paiement public ou à paiement par les usagers, font l’objet d’un audit périodique par l’Organe de Régulation sans préjudice des autres audits et contrôles prévus par d’autres textes législatifs ou règlementaires.
Quant au décret n°2021-1443 du 27 octobre 2021 portant application de la loi n°2021-23 sur les PPP, il ne contient pas de règles spécifiques portant modalités d’application de l’article 46 susvisé, ce qui peut laisser à un vide juridique sur l’audit des PPP dans la commande publique.
Tel n’est pas le cas car pour pallier à cette situation, le législateur sénégalais a pris l’option de régler cette question dans le corpus juridique portant création et organisation de l’Autorité de Régulation de la Commande Publique (ARCOP) à travers les articles :
– 30 nouveau de la loi 2022-07 du 19 avril 2022 modifiant la loi n°065-51 du 19 juillet 1965 portant Code des Obligations de l’Administration (COA) modifiée qui rappelle qu’il appartient à l’organe de régulation et de contrôle de la commande publique d’assurer les missions de contrôle a posteriori du respect de la réglementation régissant la passation et l’exécution des marchés publics et contrats de partenariat public privé et ;
– 2.8 du décret 2023-832 du 5 avril 2023 portant organisation et fonctionnement de l’ARCOP qui précise que l’ARCOP devra réaliser des audits techniques et /ou financiers en vue de contrôler et de suivre la mise en œuvre de la règlementation en matière de passation, d’exécution, de respect des obligations sociales et environnementales dans le cadre de la commande publique durable.
Il s’infère de ces règles que l’audit des PPP a une dualité d’objet car devant porter sur :
– un contrôle de la conformité juridique de la procédure de passation du contrat PPP pour apprécier le degré de mise en œuvre de la règlementation par l’autorité contractante ;
– un contrôle de l’exécution du contrat PPP à travers un examen de l’état d’exécution des obligations contractuelles liant les parties. Dans ce cas, l’audit consistera en un contrôle de la conformité technique et /ou financier du contrat PPP à travers un examen de l’état d’exécution du contrat PPP.
Cette mission n’est pas nouvelle pour l’ARCOP car dans le passé, le Régulateur des marchés publics, par le biais de l’Autorité de Régulation des Marchés Publics maintenant dissoute, a eu à commanditer des audits des délégations de services publics conclus dans les secteurs des télécommunications, de l’eau et du contrôle technique de véhicules avec pour objectif de se faire une opinion sur le degré de suivi de la réglementation en vigueur sur les délégations de service public ainsi que le respect par les parties de leurs obligations juridiques et financières nées du contrat public.
L’audit à mener par l’ARCOP prend la forme d’une revue à posteriori, avec les mêmes objectifs et les mêmes méthodes, aussi bien dans le cas d’un financement privé du contrat PPP que sur ressources budgétaires nationales, vise à apprécier les performances de l’ensemble des acteurs de la commande publique ainsi que le respect par ces derniers de tous les principes sacro-saints y afférents ( transparence et traçabilité des procédures, intégrité, concurrence, égalité de traitement des candidats, optimisation des deniers publics, équilibre financier et économique du contrat etc.).
A travers le monde, il est unanimement reconnu que les principales difficultés pour l’audit des projets et contrats PPP résident dans l’accès aux informations historiques relatives aux procédures et contrats PPP car avec la durée des projets en partenariat public-privé et les défaillances dans l’archivage physique, de grandes quantités de renseignements pertinents sont détruites et perdues. Ce risque peut être minoré avec un archivage électronique et avec une dématérialisation intégrale de la procédure de passation du contrat PPP avec toutes les garanties de sécurité, d’intégrité et d’authenticité des données prévues par la règlementation.
La deuxième difficulté découle de la complexité des contrats PPP qui exige pour l’équipe d’audit une diversité d’expertise et de profils (spécialiste droit des affaires, en économie, en ingénierie financière, en fiscalité etc.). En effet, les auditeurs, pour se faire une opinion par exemple sur la qualité des évaluations préalables, peuvent être amenés à accomplir, durant la mission, des raisonnements assez complexes, comme par exemple analyser l’adéquation de l’analyse des possibilités et des analyses de rentabilisation du projet en ayant en repérage l’optimisation des ressources publiques, ou passer en revue les évaluations de l’optimisation des ressources publiques, les projections financières sur la période du contrat, la pertinence ou non du schéma contractuel retenu, le montage financier ainsi que la rémunération du privé et l’allocation des risques etc.
Dès lors, il est d’une importance réelle pour le Régulateur de la commande publique lors de la sélection des cabinets d’audit devant effectuer la mission de bien affiner les Termes de Références de la Demande de Propositions par rapport aux critères de qualification et de compétences du personnel clé.
Dans l’exercice de ses prérogatives, l’ARCOP pourra aussi s’appuyer sur des personnes ressources qualifiées dans les domaines requis par les PPP, indépendamment de la sélection de cabinets indépendants d’audit, comme le lui permet l’article 3 du décret n°2023-832 sur les missions statutaires et organiques de l’ARCOP.
La troisième difficulté peut être liée au secret lorsque les entités du secteur public assurant la gestion du projet refusent de divulguer l’analyse étayant leur décision de recourir au partenariat public-privé pour motif que ces renseignements relèvent du domaine politique à charge pour le Régulateur d’anticiper sur ces difficultés en vue de trouver des solutions idoines.
En outre, contrairement aux marchés publics, domaine dans lequel la règlementation énumère des marchés qui devront obligatoirement faire partie du champ de l’audit annuel de l’ARCOP ( marchés sur lesquels les observations de l’organe de contrôle à priori n’ont pas été prises en compte par l’autorité contractante, marchés passés par entente directe, ou encore ceux financés en vertu d’accords ou traités internationaux…) la règlementation sur l’ARCOP ne donne pas d’indications exhaustives sur la sélection des procédures et contrats PPP à auditer, ni sur les critères de sélection.
Il est à noter que dans le passé, le choix des délégations de service public à auditer relevait d’un choix stratégique de l’ARCOP avec notamment une sélection fondée parfois sur le jugement professionnel suites aux recours et /ou complaintes voire des réclamations des utilisateurs du service public délégué.
Cette approche est pertinente, toutefois, il est possible que soit retenu d’autres critères de sélection portant notamment sur :
- le caractère stratégique et/ ou sensible du secteur d’activité concerné( eau, électricité, santé publique, éducation, transport, communication etc.) ;
- l’impact du ou des contrats PPP sélectionnés sur l’économie nationale, compte tenu de leur envergure économique et financière avec leurs exigences en termes de développement local (effectivité du plan de contenu local à travers l’emploi, la formation professionnelle, la promotion des petites et moyennes entreprises et artisans locaux, l’utilisation des biens et services locaux, le transfert de technologies et de compétences etc. comme prévu par l’article 30 du décret sur les PPP);
- l’usage des procédures dérogatoires de passation du projet PPP utilisées par la puissance publique sans mise en concurrence des candidats, dans ce cas, la sélection de la procédure à auditer sera fondée sur une évaluation des risques inhérents au mode de sélection de l’opérateur privé (entente déguisée pouvant induire un coût élevé des prestations et de la rémunération du privé, corruption etc.).
En tout état de cause, quel que soit l’option à retenir par le Régulateur de la Commande publique, l’autorité contractante doit, dans le cadre de sa gestion, toujours avoir en vue les questions de transparence des procédures, d’optimisation des deniers publics par application des principes fondamentaux d’économie, d’efficacité et de reddition des comptes pour lui permettre d’être dans une situation confortable en cas d’audit de l’organe de contrôle à postériori.
Pour ce faire et compte tenu des nombreuses conséquences juridiques en cas de manquement, l’autorité contractante, pour y échapper, doit prendre toutes les dispositions adéquates pour assurer ses responsabilités à chaque phase du projet PPP à travers la mise en place en son sein de comité de suivi des projets et contrats PPP.
L’autorité contractante doit, à travers le contrôle interne, avoir une attitude de veille permanente durant le processus de passation et d’exécution des contrats PPP en s’assurant que ses services ont respecté toutes les étapes procédurales et délais de passation et de contractualisation des PPP en prenant en compte les avis de l’Unité Nationale d’Appui aux Partenariats Public-privé lors de l’évaluation préalable et de la Direction Centrale des Marchés Publics (contrôle à priori) ainsi que les décisions Comité de Règlement des Différends sur les recours relatifs à la procédure de passation des projets PPP .
Pour chaque projet PPP (Travaux, Fournitures et services etc.), l’autorité publique doit également s’assurer que ses services ont procédé à un classement unique de toutes les pièces justificatives du lancement de la procédure de passation du contrat PPP au fur et à mesure du déroulement du processus jusqu’à la fin de la délégation de service public ( documents de référence pour la passation, contrats et pièces de gestion et de suivi exécution du contrat sans compter les avenants avec les avis DCMP ainsi que les avenants approuvés ).
L’autorité contractante (AC) devra également avoir une boîte audits des contrats PPP pour avoir l’historique des contrôles effectués dans le passé aussi bien par l’ARCOP que les autres corps de contrôle de l’État et ce, afin de permettre aux auditeurs externes d’apprécier le degré de suivi des recommandations précédemment faites.
Il est dans l’intérêt de l’autorité contractante de mener régulièrement un contrôle interne sur ces points afin d’identifier les dysfonctionnements internes et de les corriger en prenant toutes mesures appropriées à temps avant la survenance de l’audit.
Il est également important que l’autorité contractante exerce ses prérogatives qui lui sont confiées par la règlementation (veille permanente), en s’appuyant en cas de besoin sur l’Unité nationale d’Appui aux PPP, en termes de contrôle et de suivi de l’exécution des prestations contractuelles du PPP à travers la mise en place de comité de suivi dont la composition, le fonctionnement et les missions doivent être précisés par arrêté du Ministre en charge des partenariats.
Au cours de la mission d’audit, l’autorité contractante devra mettre les auditeurs mandatés par l’ARCOP dans des conditions de travail approprié leur permettant de remplir leur mission (salle de travail, connexion internet, prises électriques fonctionnelles) et éviter certains dons d’une certaine valeur ou largesses (hospitalité) pouvant compromettre l’impartialité de l’auditeur et son indépendance. En tout état de cause, ce dernier est tenu de respecter les règles d’éthique et de déontologiques auxquelles il est soumis en vue de préserver leur intégrité morale.
A l’issue des missions des auditeurs, leurs rapports d’audits définitifs contenant les conclusions des auditeurs ainsi que les observations des autorités contractantes sont transmis à l’ARCOP et exploités par ses services compétents pour dégager notamment :
-une synthèse globale portant sur les performances de l’ensemble des acteurs de la commande publique et les tendances lourdes sur les non conformités dégagées en vue de la tenue de la réunion de restitution publique des rapports des audits ;
-les causes actions correctives, après analyse des causes des manquements et/ ou des dysfonctionnements notés en vue de l’élaboration d’une politique appropriée de renforcement des capacités techniques des autorités contractantes ;
– les difficultés rencontrées par les autorités contractantes quant à la mise en œuvre effective de la règlementation en vue d’éventuelles propositions de modification de la réglementation sur les PPP
-les investigations supplémentaires à mener en cas d’irrégularité constatée avant, pendant ou après l’exécution des contrats PPP avec une possibilité pour l’ARCOP de saisir la Cour des Comptes ou les autorités judiciaires compétentes en cas de faute de gestion (CF loi organique Cour des Comptes) ou d’infraction pénale dument caractérisée.
En outre, il incombe au Régulateur de la Commande publique de transmettre un rapport annuel sur l’efficacité et la fiabilité du système de passation, d’exécution et de contrôle de la commande publique aux autorités compétentes visées à l’article 2.15 du décret portant création de l’ARCOP.
Mme Henriette DIOP TALL
Magistrate
Coordinatrice générale de la Cellule d’Enquêtes
et d’Inspection et d’Instruction des Recours
(CEIIR) – ARCOP