NICOLE GACKOU, PRÉSIDENTE UNION DES FEMMES CHEFS D’ENTREPRISES (UFCE) : « Les initiatives resteront vaines si l’applicabilité est une contrainte »

NICOLE GACKOU, PRÉSIDENTE UNION DES FEMMES CHEFS D’ENTREPRISES (UFCE) : « Les initiatives resteront vaines si l’applicabilité est une contrainte »

« Il n’est pas possible de se développer en privant la moitié de l’humanité, de ses droits ; on ne pourra pas atteindre les objectifs définis si la moitié de la population est ignorée ». Cet avis contenu dans un éditorial signé du Directeur général de l’ARCOP M. Saer Niang, donne du sens aux nouvelles opportunités qui se présentent aux femmes dans les politiques publiques en général et en particulier dans la commande publique. A la tête de l’Union des Femmes Cheffes d’entreprises (UFCE) qui regroupent cinq cent (500) femmes actives dans tous les secteurs d’activités, Mme Nicole Gackou donne son point de vue sur la réforme juridique et règlementaire instaurée par le décret 2022-2295 du 28 décembre 2022 portant code des marchés publics. Le document consacre, entre autres points, une discrimination positive aux PME à direction féminine. Si la porte-parole des « entrepreneures » apprécie ces initiatives allant dans le sens de favoriser un meilleur accès des femmes à la commande publique, elle insiste toutefois et surtout à leur applicabilité. Par ailleurs, Mme Gackou appelle à impliquer davantage les bénéficiaires.

Madame Nicole Gakou, en tant que présidente de l’Union des Femmes Cheffes d’entreprises (UFCE), quelle est votre impression sur la nouvelle loi sur les marchés publics, récem­ment promulguée par le chef de l’Etat, et qui fait une discrimination positive aux femmes entrepreneures ?

Bonjour et merci de nous per­mettre de nous exprimer à ce pro­pos. Mais il est toujours bien de voir le contexte. Les femmes entrepre­neures ont du mal à accéder aux compétences techniques, aux ser­vices financiers sophistiqués pour leur permettre de faire clore con­venablement leurs entreprises, à se mettre à niveau tant sur le profes­sionnalisme de leur entreprise que sur les questions d’innovation.

Avec et grâce à ONU Femmes, nous avons porté, fait le plaidoyer de l’accès des femmes entrepre­neures à la commande publique. Le but est de mettre en place un cad­re réglementaire préférentiel pour les PMEF, accompagné d’un pro­gramme de sensibilisation. Et aussi d’une formation au profit des cadres du gouvernement impliqués dans la passation des marchés pour opéra­tionnaliser le nouveau cadre règle­mentaire.

Le principe de la discrimination positive s’entend comme une ému­lation, en donnant des outils utiles, pour permettre aux femmes de com­pétir sans rupture des principes : d’économie, d’équité et de transpar­ence. Cela veut que nous apprécions à sa juste valeur la nouvelle loi promulguée par le Chef de l’Etat, son Excellence, le Président Macky Sall.

5% des parts de marchés réservés à tous les acteurs de l’économie so­ciale et solidaire, aux PME dont 2% exclusivement accordés aux femmes. Ce résultat vous satisfait-il, si on sait qu’il y a eu une longue lutte derrière ?

Certes il est important d’avoir un chiffre, un pourcentage car il nous faut avoir un référentiel. Mais le problème, ce n’est pas de l’inscri­re, de l’annoncer ou d’avoir une loi ; c’est plutôt d’avoir un mécanisme opérationnel. Le mode opératoire doit être accessible et codifié. Ainsi, les gens sauront comment procéder. Sinon, ce sera encore un voeu pieux car les autorités contractantes ne l’exécuteront pas, surtout qu’il s’agit de discrimination positive.

N’oublions pas qu’à travers les articles 17 et 33 de la loi de 2008, l’Etat du Sénégal réservait certains marchés publics aux PME recon­nues. Et 15% des parts de marchés publics réservés aux PME reconnues devaient être accordées aux entre­prises appartenant aux femmes. Quel en a été l’impact ?

Un impact que le nouveau code cherche certainement à donner, à tra­vers une réforme du cadre juridique et réglementaire qui donne plus de considération aux femmes pour un accès équitable à la Commande Pub­lique. Est-ce que vous pensez que cette « faveur » pourra concrète­ment changer le développement de ces entreprises à direction féminine et le développement des femmes en général ?

Est-ce une ‘’faveur’’ ? Si ‘’faveur’’ il y a, la réponse est ‘’OUI’’. Dans une de ses publications AFD signalait, je cite : ‘Réduire les inégalités de genre, notamment à travers l’entre­preneuriat, c’est augmenter le PIB mondial de l’ordre de 28 000 mil­liards de dollars d’ici 2025. C’est gi­gantesque.’

Au Sénégal, le niveau d’emploi informel ne cesse d’augmenter. Les groupes les plus vulnérables de la société – les jeunes, les per­sonnes âgées, les personnes sans formation professionnelle, la main d’œuvre rurale – sont alors exclus à long terme du développement économique et social. Et dans cha­cun de ces groupes, les femmes sont majoritaires.

Pourquoi donc importe-t-il de promouvoir l’entrepreneuriat fémi­nin ? Parce que hommes et femmes participent conjointement au dével­oppement économique d’une société – une réalité qui n’est pas toujours reconnue. Une plus grande parité hommes/femmes dans le dévelop­pement de l’entreprise va de pair avec une répartition plus équitable de l’emploi et des revenus entre les hommes et les femmes.

Certes les choses évoluent, car selon l’Agence nationale de la statis­tique et de la démographie (Ansd), 33% des entrepreneurs sénégalais sont des femmes. Il y a toutefois des prérequis à respecter afin que cette ‘’faveur’’ se transforme en Opportu­nités pour les entreprises féminines étant entendu que l’Etat reste le principal donneur d’ordre et que la commande publique va au-delà des 3000 milliards.

Quels sont ces prérequis selon vous ?

Ne nous y trompons pas, toutes ces initiatives resteront vaines si en dernier ressort l’applicabilité est une contrainte. Certaines questions se posent. C’est-à-dire : comment définir le champ d’application de la loi ? Comment mesurer son impact ? sur le nombre de contrats attribués ou sur le coût global des contrats passés ? Quelle est l’institution ou la structure dédiée pour la mise en œuvre de cette disposition de la loi ?

Devant l’importance de telles mesures, il faut retenir qu’il s’agit de mettre en place un cadre norma­tif, cohérent et incitatif, non de faire des cadeaux aux femmes entrepre­neures.

Pour plusieurs raisons, les femmes sont souvent sous informées, voire même non impliquées par rap­port à ces projets qui les concernent directement. Etant à la tête d’une organisation qui regroupe environ 500 cheffes d’entreprises, est-ce que vous confirmez cette hypothèse ?

Voilà la centralité du problème. Les résultats de l’étude comman­ditée par ONUFEMMES ont identifié les contraintes suivantes à l’accès aux marchés publiques :

  • · Beaucoup de femmes entre­preneures ne maîtrisent pas les procédures de passation de marchés publics.
  • · 1 femme sur 10 seulement connait les programmes et institutions gouvernementaux qui peuvent les appuyer dans les procédures de passation des marchés publics.
  • · 95% des femmes entrepre­neures financent les activités de leurs entreprises à travers des fonds propres.

Quelles solutions alors pour palli­er ce manquement surtout en tenant compte du nouveau décret ?

Les solutions préconisées sont la mise en place des programmes de formation aux procédures de passations des marchés publics ; la mise à niveau de ces PMEF afin de faciliter le passage à l’échelle, la gestion de sa croissance ; la for­mation et la sensibilisation au profit des personnes impliquées dans la passation des marchés pour opéra­tionnaliser le nouveau cadre règle­mentaire.

888 femmes entrepreneures ont déjà bénéficié d’une formation leur permettant de maîtriser les procédures de passation des marchés publics, selon les chiffres de l’ARCOP. Qu’est-ce que vous pensez de cette initiative, mais également du nom­bre ?

Cette initiative est à pérenniser. Le nombre de personnes formées est non négligeable mais il reste en­core beaucoup à faire. Il faut aussi mesurer l’impact de ces formations (ex : de nombre de dossiers d’appels d’offre déposés). Certaines con­traintes telles que les garanties, le financement subsistent.

Si des femmes de l’UFCE ont déjà bénéficié de cette formation, pou­vez-vous revenir sur l’impact de cette formation sur le développement de leurs entreprises ? Un changement positif par rapport aux autres ?

Effectivement plusieurs mem­bres de notre organisation, UFCE, ont bénéficié de cette initiative. Le fait d’être outillé a accru la confiance en leurs capacités et les dirigeantes d’entreprise vont plus facilement vers l’autorité contractante – se mettent ensemble pour concourir à des appels d’offres (AO) – vont vers la sous-traitance afin de renforcer leurs capacités techniques – utilis­ent le numérique pour simplifier leur “process”. Et les résultats sont satisfaisants.

Et c’est le lieu de remercier ONUFEMMES et l’ARCOP et aussi, la Banque Mondiale pour l’accom­pagnement. Nous tenons à insister sur la synergie des mesures qui concourent à faciliter l’accès des PMEF à la commande publique. A ce jour, près de 1000 femmes en­trepreneures ont été formées par l’ARMP ; le programme WEFI avec la BM a accompagné 2 cohortes de PMEF dans la structuration, la pro­fessionnalisation de leurs entre­prises ; un MOU vient d’être signé entre ONU FEMMES et la Caisse des Marchés Publics (CDP) afin de faci­liter aux Femmes Entrepreneures l’obtention de garanties et autres produits financiers requis pour l’ac­cès à la commande publique et la nouvelle loi sur les marchés publics qui fait une discrimination positive aux femmes entrepreneures, nous serons tentées de dire l’équité du genre gagne du terrain.

Interview réalisée par CCRP/ARCOP

Crédit photo: unwomen.org/fr/news